Problématique
Le dosage par injection directe en chromatographie liquide couplée à la spectrométrie de masse (DAI-LC/MSMS – « direct aqueous injection ») a pour principe l’injection d’une partie aliquote d’échantillon d’eau par un autosampler vers une chaîne d’analyse LC/MSMS.
Le recours accru à cette technique dans les laboratoires d’analyse d’eau s’explique par trois raisons :
- Amélioration significative des performances intrinsèques des systèmes de détection et de quantification de type spectrométrie de masse MS/MS : sensibilité, sélectivité, robustesse.
- Recherche de gains de productivité par la réduction voire la suppression des étapes d’extraction/concentration/purification et une compatibilité maximale avec l’automatisation du dosage en approche multi-résidus.
- Inadaptation des méthodes conventionnelles d’extraction (extraction liquide/liquide, extraction SPE) à l’analyse de substances très solubles dans l’eau désormais de plus en plus recherchées (pesticides ionisables, métabolites, ...).
Par principe la DAI-LC/MSMS est une méthode circonscrite au dosage des substances solubles dans la phase aqueuse ; c’est donc uniquement la fraction des substances dissoutes qui est analysée (quand bien même le laboratoire travaillerait sur l’échantillon brut, c’est-à-dire sans aucune filtration préalable de l’échantillon, étape pourtant utile mais au seul motif de préserver l’état de la chaîne d’analyse) ; la phase particulaire n’étant pas soumise à l’analyse, les substances potentiellement adsorbées sur la matière en suspension (MES) ne sont pas analysées.
Analyse
Il convient de rappeler que l’affinité des substances pour la phase aqueuse dépend de facteurs multiples, notamment le Kow (coefficient de partage octanol/eau), le Koc (coefficient de partage carbone organique/eau), l’hydrosolubilité mais aussi le pH de l’eau.
Se pose donc la question de l’adéquation de ce principe d’analyse aux exigences d’un donneur d’ordre qui demande l’analyse de l’échantillon brut.
Par leurs propriétés physico-chimiques, certaines substances seront présentes en totalité dans la phase aqueuse, c’est normalement le cas des substances à Kow et Koc faibles et très hydrosolubles. Dans ce cas (hypothèse la plus favorable) la concentration déterminée dans la phase aqueuse est aussi la concentration totale de l’échantillon brut (bien qu’il soit toujours possible que des liaisons ioniques maintiennent une adsorption de substances ionisables sur les MES).
On peut dire ici que, pour de telles substances, le laboratoire a répondu à la demande suivante : analyse de la concentration totale (attention : il ne s’agit pas de l’analyse de l’échantillon brut car même s’il n’y a pas eu de filtration préalable, seule la phase aqueuse a été analysée).
A contrario, les substances parmi les plus hydrophobes et non ionisables ne seront quasiment pas retrouvées dans la phase aqueuse car adsorbées préférentiellement sur la MES. De très nombreuses substances ont évidemment des propriétés se situant à l’entre-deux. Par conséquent, en l’absence d’analyse de chaque phase réalisable après séparation des phases, il n’est pas possible de fournir un résultat pour l’échantillon brut (concentration totale).
On peut dire ici que, pour de telles substances, le laboratoire a répondu à la demande suivante : analyse de la fraction dissoute (même s’il n’y a pas eu de filtration préalable).
Plus généralement on peut également s’interroger, en présence de concentrations significatives en MES, sur l’étendue du recouvrement des techniques d’extraction SPE sur cartouche voire même des techniques d’extraction SPE sur disque ou d’extraction liquide/liquide. Il est en effet difficile de mesurer l’effet de la MES sur une méthode d’analyse. Les dossiers de validation produits par les laboratoires, même lorsqu’ils sont réalisés à partir d’échantillons réels d’eaux superficielles contenant des MES, ne restituent pas des valeurs de substances présentes en concentration naturelle mais des valeurs de concentrations visées après dopage en solution, ce qui constitue un biais.
En résumé
Dans le cadre de la relation aux donneurs d’ordre, il est important d’avoir à l’esprit les faits suivants :
- En principe, une analyse totale devrait être réalisée après séparation de phase : phase aqueuse et phase particulaire ; cette disposition est néanmoins très lourde et coûteuse à mettre en pratique par les laboratoires.
- Une analyse de l’échantillon brut, au sens non filtré, ne constitue pas une garantie d’analyse totale, a fortiori en méthode DAI/LC-MSMS.
- Par nature, le principe d’analyse DAI-LC/MSMS est une technique d’analyse de la phase aqueuse (= analyse de la fraction dissoute). L’incidence est d’évidence nulle lorsqu’il s’agit de doser les contaminants organiques dans l’eau traitée ; mais il y a lieu de s’interroger lorsqu’il s’agit de doser ces mêmes substances dans la ressource, notamment quand il s’agit d’eaux superficielles pouvant contenir une teneur significative en MES.
- Les paramètres recherchés en technique LC/MSMS sont majoritairement des substances à caractère polaire donc hydrosolubles, ce qui atténue l’effet « dosage non total ». Les composés apolaires, généralement hydrophobes, sont plutôt analysés en GC/MS (du fait de leur caractère plus volatil).
- Dans la pratique il est très risqué de dresser une liste type des substances à solubilité totale dans la phase aqueuse : les variables thermodynamiques et cinétiques sont très nombreuses.
- Dans le cadre du contrôle sanitaire : la phase aqueuse est le compartiment le plus sensible car c’est celui qui constituera le produit fini ; il est donc important de rappeler que les méthodes d’analyse employées pour ce contrôle sont pertinentes.
- Dans le cadre du contrôle environnemental : on peut s’interroger sur la pertinence de rechercher les substances dans l’échantillon dit « brut » : risque de biais méthode ; forte variabilité des teneurs en MES dans l’eau selon l’acte d’échantillonnage pour un même point de prélèvement. Ne faudrait-il pas analyser les 2 matrices (eau et sédiments séparément) en sollicitant systématiquement pour l’eau l’analyse de la fraction dissoute.
Ronan Colin – Directeur R&D, innovation, inspection